La démarche INTERLUDE

La démarche INTERLUDE

La démarche INTERLUDE est structurée par ce que les partenaires ont défini comme des innovations couplées pour gérer des bioagresseurs à l'échelle de territoires (le terme initial était des scénarios territoriaux). Ces innovations couplées consistent à coupler (i) des leviers agroécologiques à même de réduire la pression des bioagresseurs et/ou d'accroître les processus de régulation naturelle et (ii) des réorganisations entre acteurs de la filière ou du territoire qui rendent possible l'adoption de ces modes de gestion agroécologiques par les maraîchers  (ex : changements de pratiques de plusieurs types d’acteurs, coordinations entre acteurs).  

Schéma La démarche INTERLUDE

Dans INTERLUDE, les innovations techniques sont des pratiques ou systèmes de culture agroécologiques qui permettent une réduction de l’usage des produits phytosanitaires (PPS), et dont l’échelle d’application est la parcelle ou l’exploitation agricole. La mise en œuvre de ces innovations techniques nécessite souvent des innovations organisationnelles, sociales, économiques, commerciales à l’échelle de l’exploitation agricole (en vert sur le schéma ci-dessus) (e.g. des débouchés pour de nouvelles espèces légumières). Mais cela nécessite aussi de nouvelles coordinations entre acteurs du système agri-alimentaire (e.g. entre maraîchers et acteurs de l’aval) (en bleu). Une innovation couplée (cadre orange) est donc la combinaison cohérente d’innovations à l’échelle de l’exploitation agricole avec des modes de coordination entre différents acteurs.

Afin de concevoir des innovations couplées dans chacun des 4 territoires, les partenaires du projet ont élaboré une méthodologie commune qu'ils ont adaptée en utilisant des outils et des modes de recueil spécifiques aux territoires. Après avoir identifié des leviers alternatifs à l’usage des produits phytopharmaceutiques pertinents sur le territoire (ex : la diversification des cultures, la création variétale, la modification de l’itinéraire technique), la démarche se déploie à travers 2 questions successives :

  1. Qui pourraient être les acteurs – dans ou en dehors du territoire - concernés par la mise en œuvre de ces techniques alternatives? ( ex: un transformateur local, un acteur de la GMS intéressé pour promouvoir les légumes produits en agroécologie, une collectivité territoriale).  Quels sont les freins et leviers qu'ils rencontrent pour favoriser leur mise en œuvre ?  
  2. Quel dispositif de coordination mettre en œuvre pour favoriser un engagement dans le changement simultané des différents acteurs concernés, pour rendre possible la mise en œuvre de pratiques alternatives par les agriculteurs ? (ex : un nouveau label, un engagement contractuel pluriannuel entre producteurs et grossistes, l’accès à une main d’œuvre plus qualifiée).

La démarche combine donc des activités de compréhension du problème à résoudre via des enquêtes auprès de différents acteurs du système agri-alimentaire et des activités d’exploration et d’évaluation de prototypes d’innovation couplée lors d’ateliers multi-acteurs et d'enquêtes complémentaires. Le terme de prototype renvoie au fait que les innovations conçues par les acteurs ne sont pas encore implémentées et opérationnelles, mais des prototypes dont les acteurs pourront s'inspirer pour se coordonner et ainsi favoriser la massification des techniques agroécologiques.

1) Un diagnostic des freins et leviers à la réduction de l’usage des produits phytosanitaires à l’échelle de chaque territoire
Il s’agit de comprendre les pratiques et les stratégies des acteurs concernés par le problème à résoudre et d’identifier les freins et les leviers pour le résoudre, à l'échelle du territoire et/ou de la filière. Au-delà des fonctionnements individuels, il s’agit de comprendre comment les réseaux d’acteurs et leurs interactions sur le territoire impactent favorablement ou défavorablement la réduction de l‘usage des produits phytosanitaires. La méthode de diagnostic des freins et leviers sociotechniques au processus d’innovation (Casagrande et al. 2023) a été mobilisée en Provence, Roussillon et Guadeloupe et celle du diagnostic agraire (Cochet, 2011) en Martinique. Ces diagnostics ont cadré le processus de conception, en repérant les freins à lever et de possibles pistes de leviers, ainsi que les acteurs à mobiliser dans la démarche de co-conception.
>> Méthode du diagnostic socio-technique (Casagrande et al., 2023)
>> Méthode du diagnostic agraire : Cochet H., 2011. L’agriculture comparée. Éditions Quæ, Indisciplines, Paris, France.

2) Une démarche de co-conception et d'évaluation de prototypes d’innovation couplée à l’échelle du territoire  
Des ateliers multi-acteurs ont eu lieu en 2022-2023 pour concevoir des prototypes d’innovation couplée.  

  • Dans un premier temps, acteurs et chercheurs partagent leurs connaissances sur des objets techniques (ex : apport de matières organiques brutes dans le sol). Des experts (souvent chercheurs) explicitent les processus biotechniques autour de ces objets pour comprendre les conditions dans lesquelles la réduction de l’usage des produits phytosanitaires est possible (ex : les facteurs qui jouent sur les régulations écologiques lors de l’apport de matières organiques). Les participants échangent leurs connaissances des freins et leviers à la réduction des produits phytosanitaires.  
  • Il s’agit ensuite de faire émerger collectivement des prototypes d’innovations. Comme cela concerne potentiellement une gamme large d’activités au sein du système agri-alimentaire, les facilitateurs doivent faire interagir des acteurs variés, qui se connaissent peu ou portent des positions antagonistes, par exemple des agriculteurs et des responsables de rayons de supermarchés. Ils mobilisent des techniques d’animation agiles et des artefacts visuels pour favoriser l’expression de chaque participant et la créativité collective. Il est souvent difficile d’aboutir en fin d‘atelier à un prototype finalisé d’innovation couplée, coordonnant des processus portés par des acteurs aux différents maillons du système agri-alimentaire. Les ébauches sont donc retravaillées après les ateliers, pour préciser les actions et les coordinations nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre le prototype d’innovation couplée.  
  • Certains de ces prototypes ont fait l’objet d’évaluation multi-critères (performance, faisabilité) à dire d’experts pendant les ateliers et/ou par enquêtes post-atelier pour tester leur adéquation avec les visions et objectifs des différents acteurs. Nous avons également recensé les outils qui pourraient être mobilisés et/ou qui l'ont été.

boite à outils pour concevoir (ou évaluer) des innovations couplées

L'analyse transversale des cas d'étude

Les démarches dans les 4 cas d'étude ont été tracées finement au cours des 3 années et comparées pour pouvoir monter en généricité :  
Le projet INTERLUDE visait à co-concevoir avec les acteurs de chacun des 4 territoires, des innovations couplées de réduction des produits phytopharmaceutiques. En raison de la dimension participative de cette démarche, nous avons choisi de ne pas imposer de méthode unique pour aboutir à la co-conception de ces innovations, mais de laisser les acteurs et les porteurs de cas adopter la méthode qui leur correspondait le mieux. Néanmoins, nous sommes outillés pour suivre les avancées et mettre en commun au fur et à mesure les résultats du projet : (i) suivi de façon fine les activités des cas d’étude, (ii) mise à disposition des outils à mobiliser dans les cas d’étude ; (iii) échanges réguliers entre les cas d’étude ; (iv) analyses conjointes entre certains cas. Pour plus de détails, voir Démarche d'analyse transversale. 

Les principaux enseignements

(i) Différentes formes de coordinations entre acteurs du système agri-alimentaire ont été jugées nécessaires pour faciliter la mise en œuvre des leviers agroécologiques : entre agriculteurs de gré à gré ou via une CUMA (échanges de connaissances, de main d’œuvre, de terres ou d’équipement, de ressources végétales), entre agriculteurs et acteurs de l’amont de la filière (plateformes de collecte de déchets verts, fournisseurs d’auxiliaires biologiques, production collective de biostimulants) et/ou entre agriculteurs et acteurs de l’aval de la filière (accords sur des qualités commercialisables, meilleure valorisation économique des légumes produits avec des pratiques agroécologiques, mutualisation des risques). Des coordinations ont été proposées avec les acteurs de la R&D, visant la production de connaissances pour gérer des équilibres complexes (e.g. piloter un itinéraire technique zéro résidu de pesticides sans pénaliser le rendement ou la qualité, apporter des matières organiques pour booster la vie du sol sans risquer de faim d’azote).

(ii) Les innovations couplées sont situées, c’est-à-dire adaptées aux spécificités de chaque territoire (bioagresseurs à contrôler, systèmes techniques, exploitations agricoles et organisations sociales présentes sur le territoire, conditions pédoclimatiques, paysages réglementaires, etc.). Pour autant, il est possible d’en tirer des enseignements plus génériques, comme une typologie selon le degré de reconception des systèmes et les formes de gouvernances nécessaires (Navarrete, Casagrande et al., soumis).

(iii) La plupart de ces innovations couplées nécessitent que les coordinations soient impulsées puis portées par un acteur du territoire capable d’encourager les acteurs à dépasser leurs choix individuels et de les accompagner pour trouver des marges de manœuvre pour collectivement déverrouiller le système. Si les chercheurs ont impulsé cette activité dans le projet INTERLUDE, dans le cadre de leur recherche, quels acteurs des territoires pourraient porter cette activité ? Quels seraient leur mandat et leurs compétences ? Ces questions sont traitées dans la section 3.4.  

Pour voir des illustrations de cette démarche dans les cas d'étude :
▶︎ Cas PACA
▶︎ Cas Roussillon
▶︎ Cas Martinique
▶︎ Cas Guadeloupe